Le Maître Tonnerre de Kinshasa livre une implacable leçon de vérité dans Bokonzi, son nouvel EP disponible le 3 février via Blue Line Records et PIAS.
Dans les rues de Bandalungwa, commune de Kinshasa, Wilfried Luzele crie la misère d’une jeunesse oubliée. Kin La Belle porte parfois mal son nom, la ville est le théâtre de bien des tragédies, et celui qu’on nomme désormais Lova Lova en connaît le côté obscur. Armé de sa voix rauque, porté par des sonorités aux antipodes de la rumba qui fait tanguer le pays, il transforme la misère dont il s’est sorti en force salvatrice. « Le pouvoir de ma musique est de transformer les humeurs passées du négatif au positif, de faire participer mes ancêtres et aussi transmettre la vérité, en contradiction avec les mensonges, pour faire découvrir des choses immatérielles aux vivants » explique le chanteur. Philosophe parfois alambiqué et véritable original, il utilise les sons et les mots pour mettre en lumière des destins d’une sombre banalité. C’est son pouvoir, ou Bokonzi, du titre de son nouvel EP.
Dans ce projet, précédé par le 6-titres révélateur Mutu Wa Ngozi (« L’homme qui apparaît dans les rêves »), Lova Lova redevient « l’instrument de la musique et le gardien des langues qu[‘il] s’obstine à utiliser pour les préserver de l’oubli ». Il exprime ses idées et sa douleur en lingala, en tshiluba, en kikongo et en français, dans un « mélange de musique traditionnelle, de rock, de soukous (style de rumba qui a précédé le ndombolo, ndlr), de hip-hop et d’afro-punk ». Le fait est que sa créativité l’a sauvé, à l’époque trouble où il a fui son foyer pour rejoindre la foule sans visage des enfants des rues, les « shégués ». Il trouve dans la sape et le clan des « sapeurs japonais » une nouvelle voie et même une porte de sortie. « La sape est l’activité que j’ai choisie quand je suis sorti dans la rue pour y vivre. C’est même la seule porte que j’ai pu utiliser pour apprendre les mouvements, les expressions corporelles et l’art du public. Avec mes costumes, d’une autre manière, je reste sapeur et la sape est en moi en tant qu’art ».
Aujourd’hui, la sape est l’un des éléments clés de ses visuels renversants, comme l’illustre le clip du single “Mambu” . Stylés, subversifs et déchaînés, des sapeurs déambulent dans les rues de Bandal et contrastent avec le désarroi et la misère des jeunes livrés à eux-mêmes et aux drogues. Lova Lova interpelle l’audience : « vous voyez les enfants qui dorment dans les rues, qui ne vont pas à l’école… et ceux qui vont à l’école mais qui ne mangent pas, putain ! ». Messager du milieu, il est lui aussi sapé, mais l’accoutrement est d’un autre acabit. L’armure qu’il porte est faite de fils électriques, de calculatrices, de disques durs et autres déchets. Il ressemble presque à un super-héros. Comme d’autres artistes et collectifs congolais tels que Fulu Miziki, Lova Lova mène une « révolution poubelle ». Utilisés comme instruments ou comme tenues, les déchets qui polluent les rues de la ville trouvent une seconde vie dans l’esprit savant de cet artiste contestataire.
L’opus Bokonzi est un cri du cœur et de colère. Lova Lova ne veut plus de cette vie, ni pour lui ni pour les autres, et le cheminement vers un avenir meilleur commence par regarder la réalité en face, et dénoncer les maux qui rongent Kinshasa. Le titre « Bana Mabe » fait le diagnostic : il ne s’agit pas d’une fatalité mais d’un problème de société, que Lova Lova se devait de traiter. « Je me considère comme le porte-voix de toutes ces personnes qui sont ce que j’étais à l’époque. C’est une manière pour moi de leur apporter mon aide et de dénoncer l’hypocrisie de ceux qui les pointent du doigt. Parce qu’ils sont soit pires, mais en coulisses. Ou alors ce sont ces mêmes personnes qui créent des atmosphères propices à ce que ça continue, qui en bénéficient d’une manière ou d’une autre. Donc avec mes mots pas catholiques, je présente les faits. » Lova Lova est le conteur de la misère de ses rues, et héraut de leur dignité. Vous pourrez bientôt découvrir ce saisissant témoignage, puisque l’EP Bokonzi sera disponible le 3 février, via Blue Line Records et PIAS.
Écoutez « Mambu » dans notre playlist afro + club